Marcelo Bielsa-Bernard Friot, pensées croisées
L'un est entraîneur, l'autre sociologue et économiste, mais leurs pensées nous invitent faire le parallèle entre football et rapports de production, supporters et travailleurs.
Article paru sur le site http://www.cahiersdufootball.net/
Marcelo Bielsa a réussi, la saison dernière, son défi sportif avec Leeds United: faire monter le club du Yorkshire de la Championship (D2) à la Premier League (D1). Avec au passage un cinquième titre dans la carrière de celui à qui on colle souvent l’étiquette romantique de l’éternel perdant.
Les idées de Bernard Friot, elles, n’ont pas encore triomphé, même si elles commencent à faire leur chemin et à trouver un écho de plus en plus important. Mais que peuvent avoir en commun un entraîneur de football argentin et un sociologue et économiste français?
Marcelo Bielsa n’est sans pas doute pas familier de l’œuvre de Bernard Friot. Et on n'a pas connaissance d'un intérêt quelconque de ce dernier pour le football. Pourtant les deux hommes partagent plusieurs points communs.
Marcelo Bielsa, né en 1955 à Rosario, est un entraîneur argentin connu pour ses idées de jeu radicalement offensives et son intransigeance morale qui détonne dans l’industrie footballistique contemporaine. Bernard Friot, né en 1946 à Neufchâteau, quant à lui, est un sociologue et économiste, spécialiste du salariat et de la Sécurité sociale, qui s’est fait le promoteur du "salaire à vie". A priori, pas de quoi susciter la comparaison.
Pourtant, si nous les avons réunis ici, c’est parce que nous nous sommes aussi rendu compte de certaines similarités entre les deux hommes, leurs idées et leur éthique de travail. Points communs, bien sûr, purement fortuits, mais qui incitent cependant à l’analyse.
Catholiques de gauche
Bernard Friot et Marcelo Bielsa partagent un premier point commun: leur vision du monde et leur travail ont été en grande partie influencés par le milieu militant au sein duquel ils ont évolué.
L’engagement de Bernard Friot auprès du Parti communiste est de notoriété publique. Il adhère au PCF entre les deux tours de l’élection présidentielle de 1969 et s’inscrit pleinement dans la tradition cégéto-communiste, luttant pour une société plus juste, plus égalitaire, plus démocratique, où les travailleurs et les citoyens pourraient décider de l’orientation de la société et de leurs entreprises.
Ce "capital culturel" de militant politique est mobilisé dans ses travaux académiques et ses interventions dans le débat public, dans lesquels il aborde une variété de thèmes, toujours dans une perspective marxiste: étude du salariat et de la protection sociale, réappropriation de l’histoire populaire, dénonciation des luttes "défensives", redéfinition de la notion de travail, défense du salaire à la qualification personnelle et de la propriété d’usage…
En bref, Bernard Friot prône l’abolition immédiate du capitalisme, la fin de la propriété privative des moyens de production, la gestion des entreprises par les salariés.
L’entraîneur argentin n’a jamais pris de position politique explicite, mais ses convictions transparaissent à travers son entourage, sa vision du football et ses discours.
Marcelo Bielsa est né dans une famille de la bourgeoisie de gauche rosarina. Son frère est un militant péroniste, exilé pendant quatre ans après avoir été torturé et séquestré par la junte militaire, avant de devenir député et ministre des Affaires étrangères de Néstor Kirchner. Sa sœur a été conseillère municipale puis vice-gouverneure de la province de Santa Fe sous la bannière du Parti justicialiste.
Marcelo Bielsa a donc grandi dans un environnement privilégié, mais le football l’a rapidement mis au contact des milieux populaires, vis-à-vis desquels il entend assumer une responsabilité sociale et morale. Bielsa assure jouer pour les plus démunis, et sacrifier la manière sur l’autel des résultats serait alors les trahir. "Nous avons donc une obligation vis-à-vis de la beauté du jeu et de ceux qui trouvent dans le foot un bonheur qu’ils ne peuvent trouver autre part, c’est-à-dire les plus pauvres. Pour moi, il est difficile de penser qu’on aurait seulement des résultats à leur offrir." [1]
C’est pourquoi le comportement de ses équipes – généreuses, solidaires, offensives, voire téméraires – est intrinsèquement lié à ses idéaux.
Par ailleurs, Marcelo Bielsa et Bernard Friot peuvent tous les deux être rattachés à ce courant de la gauche chrétienne dont on sait le rôle qu’il a joué dans le développement du socialisme en France et dont l’historien Edward P. Thompson soulignait l’importance, à travers le méthodisme, dans l’organisation du mouvement ouvrier anglais [2].
Dans un entretien donné à la revue Ballast, Bernard Friot faisait le lien entre sa construction intellectuelle et spirituelle. "Je pratique à la fois christianisme et communisme – une pratique commune qui s’est construite lentement et qui reste en permanence à nourrir. (…) Je suis très marqué par la théologie paulinienne, et par celle des jésuites aussi. (…) Le fait de recevoir toute rencontre, tout événement comme une occasion d’altérité source d’en-avant est constitutif de ma démarche de vie, de mon être-au-monde. C’est pourquoi je vois dans notre histoire ce que des tas de collègues ne veulent pas voir: qu’un monde autre se construit dans le monde tel qu’il est! Ils pensent que s’il y a un autre monde, ce sera plus tard, alors que je mets le mot communisme sur des réalités par lesquelles nous sommes déjà engagés dans une sortie du capitalisme, nous inventons une société autre." (Ballast, art.cit.).
De son côté, Bielsa apprécie la compagnie des religieuses et des religieux. Lors de son passage à la tête de la sélection chilienne, il se lie d’amitié avec un prêtre jésuite, Felipe Berrios, pour qui il participe à des actions caritatives, tandis qu’à Bilbao il dédiait une partie de son temps libre à visiter les sœurs de l’ordre des Clarisses.
Dans un discours tenu devant les élèves de son ancien lycée, l’entraîneur argentin avait expliqué comment sa foi influait sur la manière d’exercer son métier. "La religion catholique s’articule autour de quatre axes: sentiment de culpabilité et châtiment, mais aussi amour et pardon. Je n’étais pas comme ça à mes débuts, mais avec le temps, je me suis rendu compte que pardonner et aimer rend meilleur le footballeur. Mieux que de le punir et de l’accuser." [3]
Des projets utopiques?
Marcelo Bielsa et Bernard Friot poursuivent l’un et l’autre une obsession: convaincus d’avoir mis au point un système optimal – l’un dans le domaine footballistique, l’autre dans l’ordre économique et social – ils dédient toute leur énergie à sa mise en œuvre concrète.
L’idée phare de Bernard Friot est le "salaire à la qualification personnelle", désormais popularisé sous le nom de "salaire à vie" (et qui n’a aucun rapport avec le "revenu de base"). "Mon projet est de sortir ce que nous appelons 'travail' des griffes du Capital en prolongeant ce qui a été créé par le mouvement ouvrier au XXe siècle avec le salaire à vie, [qui peut] nous permettre de nous battre contre la définition capitaliste du travail, (…) qui ne reconnaît notre travail que lorsque l’on met en valeur du capital" (lire l'entretien avec Le Comptoir).
De manière plus concrète, il s’agirait d’octroyer à l’ensemble des citoyens un salaire mensuel, compris dans une échelle de 1 à 4, de leur majorité jusqu’à leur mort – ceci sans contrepartie. Financé par des caisses de cotisations, un tel dispositif abolirait le "marché de l’emploi" et reconnaîtrait que chaque individu est producteur de valeur économique. La proposition est donc chiffrée et détaillée. L’économiste n’y voit rien de moins qu’une solution clefs en main pour sortir le travail du carcan capitaliste et mettre fin à la propriété lucrative.
Mais comment atteindre un objectif aussi ambitieux? L’idée de Friot est de s’appuyer sur le "déjà-là" communisme, c’est-à-dire les cinq millions et demi de fonctionnaires, la moitié des quinze millions de retraités, les travailleurs à statut du genre EDF ou SNCF, et même un certain nombre de salariés qualifiés de l’industrie qui disposent déjà d’un salaire à la qualification personnelle et dont il s’agirait d’étendre le statut.
Marcelo Bielsa, lui aussi, croit fermement en ses idées et n’en dévie pas: son football est résolument offensif, sans compromis. Lors de l’une de ses premières conférences de presse à Leeds, il résumait ainsi les grandes lignes directrices du jeu de ses équipes. "Je valorise le protagonisme davantage que la spéculation. Je préfère jouer dans le camp adverse plutôt que dans notre propre moitié de terrain. J’aime que mon équipe attaque plutôt qu’elle ne défende. Je prends le risque d’attaquer dans des espaces réduits et de défendre dans de larges espaces. Je mise davantage sur des profils créatifs plutôt que sur des joueurs qui n’ont pas ce profil. J’accepte le danger qu’impliquent la circulation du ballon et la construction du jeu depuis l’arrière" (conférence de presse).
Plus concrètement, la mise en œuvre de ces idées repose sur quatre principes clefs: possession, verticalité, pressing, intensité. Ses équipes veulent avoir la balle afin d’élaborer leur jeu depuis la défense, notamment par des combinaisons de passes en triangle. Une fois dans le camp adverse, elles cherchent à se projeter rapidement vers le but, en utilisant la largeur du terrain par l’intermédiaire des joueurs de couloirs (ailiers et latéraux placés hauts sur le terrain).
En cas de perte de balle, la récupération doit se faire le plus vite possible, par un pressing tout terrain qui asphyxie l’adversaire. Le tout donne un football d’une intensité de tous les instants, dans lequel il est interdit de s’économiser.
Comment préparer les joueurs à une philosophie de jeu aussi exigeante? Les entraînements de Bielsa sont réputés pour leur intensité physique et sont axés sur la répétition des gammes afin que les joueurs intériorisent les gestes techniques, les déplacements collectifs et les circuits de passe, dans le but de minimiser les erreurs liées au stress et à la fatigue durant les matches. Le football de Bielsa repose donc sur un mélange de mécanisation et de liberté créative.
Les deux hommes poursuivent-ils des chimères? On le voit, leurs systèmes ont été pensés pour dépasser le stade des vœux pieux et pour être mis en œuvre de manière concrète. Néanmoins, face à des objectifs aussi ambitieux, se pose la question de savoir si leurs projets sont viables ou s’ils relèvent de l’utopie.
Concernant le "salaire à vie", plusieurs questions restent en suspens. Le niveau de salaire dépendrait de la qualification des individus, mais Friot reste assez flou sur la façon dont serait déterminée cette qualification. Dans quelle mesure le niveau de qualification – et donc de salaire – serait-il défini par les diplômes et les expériences de travail antérieures? Par ailleurs, comme le fait remarquer Henri Sterdyniak, il est difficile d’imaginer "ce que deviendrait l’ardeur au travail, si le salaire n’en dépendait pas quelque peu".
Comment serait-il possible d’imposer un travail pénible à un individu assuré de bénéficier d’un salaire à vie? Bernard Friot propose aussi d’exproprier les capitalistes et de socialiser la production, sans préciser la manière d’y parvenir. Comment créer un le rapport de force qui permettrait d’exproprier les capitalistes sans indemnisation? Enfin, il n’explique pas non plus la façon dont seraient fixés les prix des biens s’ils n’intègrent pas le coût du travail utilisé et le coût du capital utilisé pour les produire. Comment pourraient s’opérer des choix économiques avec des prix sans lien direct avec les coûts?
Le football de Bielsa comporte aussi certaines limites. Les principales étant l’intensité et l’exigence qu’il requiert. "Si les joueurs n’étaient pas humains, je ne perdrais jamais" [4], a déclaré un jour le Rosarino. L’ennui est justement qu’il n’entraîne pas des machines, et on lui a souvent fait le reproche d’user physiquement et mentalement ses joueurs. L’hypothèse de l’épuisement physique ne résiste pas à l’observation statistique – ses joueurs étant toujours parmi ceux qui parcourent le plus grand nombre de kilomètres et effectuent le plus grand nombre de courses à haute intensité par match tout au long de la saison.
En revanche, plusieurs de ses anciens joueurs ont pu évoquer une certaine usure mentale liée à son exigence de tous les instants et à l’intensité des entraînements et des matches. Et ce d’autant plus que Bielsa est l’un des derniers entraîneurs recourant à un marquage individuel qui impose à ses joueurs de suivre leur adversaire à la trace et de ne pas relâcher leur concentration une seule seconde sous peine de voir leur adversaire direct leur échapper.
Un rythme très difficile à tenir donc, et qui nécessite une grande efficacité devant le but, comme le rappelle l’analyste tactique Florent Toniutti. "C’est aussi le problème de proposer un jeu aussi tourné vers l’avant et autant à risques tant avec le ballon que sans. Sans efficacité, tu es foutu. Parce que si tu crées des occasions, tu vas en subir également. Quand ton style de jeu est aussi offensif, tu es obligé d’être efficace." [5]
Or les supporters des clubs entraînés par Bielsa ont pris l’habitude de voir, plusieurs fois par saison, leur équipe dominer outrageusement un match sans parvenir à marquer, avant de finalement encaisser un but en contre-attaque. Ce qui donne parfois des aberrations sur le plan statistique, comme lorsque Leeds est défait face à Charlton un but à zéro, alors que les hommes de Bielsa avaient obtenu 71% de possession et frappé au but 19 fois – contre trois fois seulement pour leur adversaire.
Intransigeance intellectuelle, intérêts et limites
Malgré les limites de leurs systèmes, les deux hommes refusent de transiger avec leurs principes et s’en tiennent à leur idée fixe. Convaincu que le salaire à vie est le seul remède pour sortir la gauche de sa torpeur, Bernard Friot sillonne la France depuis des années aux côtés de l’association Réseau salariat pour faire entendre cette alternative.
Malgré les critiques de certains économistes – y compris ceux du PCF et des Économistes atterrés – et de certains responsables syndicaux et politiques, Bernard Friot n’en démord pas, quitte rejeter la majorité des axes actuels de mobilisation sociale comme autant de "conduites d’évitement". Comme le souligne Michel Husson, pour Bernard Friot "militer pour la réduction du temps de travail, défendre les services publics, etc. sont autant 'd’erreurs stratégiques'". Au nom de son projet radical, Bernard Friot refuse donc le compromis.
De son côté, l’entraîneur argentin a en quelque sorte fait sien l’adage de Johan Cruyff: "Il vaut mieux perdre avec ses idées qu’avec celles des autres". Lui aussi est un jusqu’au-boutiste, refusant de renier sa philosophie de jeu, quelles que soient les circonstances.
À ce propos, son ami d’enfance, Oscar Scalona, déclarait: "J'ai eu exactement le même sentiment à chacune de ces rencontres [il évoquait alors les finales d'Europa League et de Coupe du Roi disputées, et perdues, par Bilbao en 2012]. Je souffrais, je priais pour que Marcelo renonce à ses principes l'espace d'une soirée, que ses joueurs balancent de longs ballons pour faire sauter la pression adverse. Mais non, ses équipes étaient à son image: géniales, merveilleuses, authentiques, mais incapables de changer. La rigidité et l'exigence de Marcelo finissent par le trahir, et poussent ses équipes au suicide".
Néanmoins, malgré leur inflexibilité, le mérite des deux hommes n’est-il pas de nous forcer à réfléchir hors du cadre généralement imposé?
Bernard Friot tente de changer le paradigme des luttes sociales. Il estime que les mouvements progressistes ont intégré la narration de la société capitaliste, qui consiste à créer un état de victimisation permanente reléguant les revendications sociales à une position défensive, alors que le mouvement réactionnaire se trouve dans une position d'attaquant. Il refuse aussi la vision capitaliste du travail qui ne le conçoit que comme activité susceptible de valoriser le capital et qui inscrit l'employé dans une relation de subordination avec un employeur ou un actionnaire.
Prenant l'exemple de parents élevant leurs enfants et n'étant évidemment pas rémunérés pour conduire leurs enfants à l'école, alors qu'une assistante maternelle le serait, il pointe du doigt le fait qu'il s'agit d'un même travail mais que, dans un cas il n'est pas rémunéré et, dans l'autre, il l’est [6]. D’où, selon lui, la nécessité de reconnaître les femmes au foyer, les chômeurs, les bénévoles, les retraités comme des travailleurs.
Marcelo Bielsa, lui aussi, tente de redéfinir la vision du football des clubs dans lesquelles il passe. Loin du court-termisme et des contraintes économiques des dirigeants et investisseurs, Bielsa refuse de voir le football uniquement sous l’angle de l’obligation impérieuse de résultats.
Mourad Aerts le résume parfaitement. "Le Rosarino redéfinit les axiomes prévalant à l’analyse des équipes qu’il mène. Il ramène tout le monde vers l’émotion, vers les tribunes. Les décharges émotionnelles puissantes qu’une équipe sous son commandement ne peut s’empêcher d’émettre ont le don de faire rejaillir le feu d’anciens volcans que les supporters croyaient sans doute trop vieux." [7]
Véritable affineur de talents, Bielsa a permis à beaucoup de joueurs de progresser. Bon pédagogue et grand formateur, Bielsa parvient à les faire évoluer pour leur permettre d’évoluer à un niveau que personne ne soupçonnait.
Nombreux sont ses anciens joueurs qui ont témoigné de l’impact qu’avait eu Bielsa sur leur développement et sur leur vision du football. Par exemple, Steve Mandanda, capitaine de l’Olympique de Marseille durant le passage de Bielsa: "C’est la période où j’ai pris le plus de plaisir depuis que je suis au club (…). Dans le jeu, c’était énorme. (…) Et il y avait cette communion avec le public (…). Avec ses idées novatrices, il a changé quelque chose dans notre philosophie du jeu, dans notre conception personnelle du football" [8].
Plus impressionnant encore, grâce à sa philosophie de jeu et son éthique de travail, Bielsa parvient même à modifier la vision du football des supporters des clubs qu’il entraîne. Ainsi, Sara, supportrice de l’OM: "L’OM c’est mon club (…). J’avais envie de les voir gagner, mais je m’arrêtais à ça. Pour moi, c’était normal de gagner et de ne pas être complètement satisfaite. En fait, Bielsa m’a donné ce dont je ne savais même que j’avais besoin dans le foot" [9].
Rapports conflictuels avec la presse
Frédéric Lordon évoquait de manière caustique deux tendances des médias et des discours éditorialistes. "La première caractéristique étant cette espèce de postulation systématique que le public est con, donc on va lui parler comme à des cons. La deuxième caractéristique étant que les éditocrates sont eux-mêmes d’une telle indigence intellectuelle qu’ils n’ont pas à forcer leur talent pour tenir un discours supposé à l’usage de débiles."
Bernard Friot et Marcelo Bielsa ne sont pas des éditorialistes, mais ils font exactement l’inverse. Ils refusent de "jouer le jeu" des médias et entretiennent des rapports conflictuels avec eux.
Les interventions de Bernard Friot dans le paysage médiatique ne sont pas très fréquentes. Non seulement son discours critique ne colle pas avec le discours dominant mais, en plus, on sent chez lui une répugnance à l’idée de se rendre chez certains médias en raison de leur subordination aux pouvoirs économiques et politiques qui limite très fortement l’espace de parole.
À ce propos, Bernard Friot avouait avoir été frappé par la une de Libération au lendemain des attentats de Charlie Hebdo. "La première page de Libération du 15 janvier comporte un bandeau qui s’appelle 'la liberté d’expression est en danger' (…). Derrière ce bandeau, en fond de page, vous avez les expressions dont l’expression publique est en danger, d’après les journalistes de Libération. Je vous les donne: 'fesses', 'branleurs de nonnes', 'pine d’ours', 'psychopape', 'par la barbe du prophète', 'Dieu est un con' (…). Cette page, qui pour moi n’a aucune crédibilité évidemment, en aurait eu s’il y avait eu parmi les expressions dont l’expression publique est en danger: 'Drahi est un con'. Drahi, c’est le propriétaire de Libération, de SFR, de Numéricable, de L’Express. Mais, précisément, un journaliste de Libération ne pourra jamais écrire que Drahi est un con. Et il se console en disant que Dieu est un con."
Marcelo Bielsa entretient aussi une certaine méfiance vis-à-vis des médias. La diplomatie n’est pas sa qualité première et il laisse souvent apparaître des signes d’agacement en conférence de presse, quand ce ne sont pas des reproches frontaux qu’il adresse aux journalistes, comme lorsqu’il entraînait le Lille olympique sporting club (LOSC): "Votre compagnie est toujours méprisable (…). Comme vous êtes habitués à manipuler l’opinion publique à travers quelque moyen que ce soit, vous imaginez [les entraîneurs] comme vous imaginez le public. Vous n’avez aucune rigueur".
Ses propos pourraient laisser penser que Bielsa déteste la presse et les journalistes dans leur globalité. Pourtant, lors d’une conférence de presse à Marseille, il reconnaissait qu’il y avait des savants parmi les journalistes et se disait capable de faire une liste des dix plus grandes plumes du journalisme sportif pour dix pays différents.
En fait, comme le souligne Thomas Goubin, ce que Bielsa abhorre, c’est une certaine presse. "Celle qui fait du résultat le référent suprême. Celle qui juge de manière superficielle plutôt que de se pencher sur le contenu d’une rencontre." [10]
Lors d’une conférence donnée au Brésil, Bielsa avait d’ailleurs expliqué pourquoi la question du rôle des médias le préoccupait tant. "Les médias influent davantage que la famille et l’école, et c’est une honte qu’ils éduquent les gens car ils ont des intérêts spécifiques (…). Leur logique est perverse car, dans la victoire, ils vont célébrer un comportement qu’ils condamneront dans la défaite. Je m’explique: si Neymar récupère le ballon dans sa moitié de terrain, que cela débouche sur un but et que l’équipe remporte huit matches de rang, on va dire que l’entraîneur a 'domestiqué' Neymar, qu’il en a fait un joueur collectif. Mais, le jour où il perd, on va entendre dire: 'Cet âne, au lieu de le faire jouer près du but, le fait presser un défenseur central'."
Malgré leur défiance vis-à-vis de la presse, les deux hommes sont bien obligés de recourir aux médias pour toucher le public et diffuser leurs idées.
Il semblerait qu’une inflexion se soit produite dans le rapport de Bernard Friot avec les médias, approximativement depuis que Franck Lepage l’a approché. Ce militant de l’éducation populaire, après s’être intéressé à l’œuvre de Friot et en avoir parlé sur scène, le contacte pour lui proposer de réaliser une "conférence gesticulée" [11]. Après avoir refusé, Bernard Friot se laisse convaincre, prenant conscience de l’importance de "vulgariser" son travail (regarder la vidéo de Franck Lepage).
Depuis ce moment, qui coïncide aussi avec son passage à la retraite, les interventions de Bernard Friot dans certains médias sont un peu plus fréquentes, même si on le retrouve plutôt au sein de ce petit courant de l’opinion qu’on appelle parfois "gauche critique", si marginalisée qu’elle est finalement condamnée à se donner la parole toute seule. On sent tout de même chez le sociologue une réticence à se plier totalement au jeu de certains médias, refusant de céder aux facilités du langage et privilégiant des termes techniques et rigoureux.
Lors de son passage sur la chaîne YouTube Thinkerview, on l’a par exemple vu assez dubitatif face à certaines questions. La chaîne a certes le mérite d’offrir le temps aux interviewés de s’exprimer durant une heure ou deux, mais l’intervieweur aime bousculer ses invités et l’emmener sur des thèmes généraux assez éloignés des sujets de prédilections des invités, alors que Bernard Friot préfère justement s’en tenir à ce qu’il maîtrise [12].
Depuis son passage à la tête de la sélection argentine (1998-2004), Marcelo Bielsa refuse tout entretien individuel, avec quelque média que ce soit. Pour lui, il s’agit avant tout d’une mesure prise par souci d’équité. "Je sais que ça ne vous plaît pas, mais quels arguments avez-vous pour me convaincre qu'une petite radio de Salta [ville du nord de l'Argentine] mérite un traitement inférieur à celui des plus grands quotidiens de la capitale?" [13]. Bielsa se contente donc des conférences de presse d’avant et d’après-match, qu’il utilise uniquement comme un moyen d’informer le public et les supporters.
Ayant grandi dans une famille de juristes, Bielsa connaît sans doute l’importance de la précision des mots. Il pèse chacune de ses paroles et refuse d’entrer dans un certain jeu médiatique, comme l’a remarquablement montré Gilles Juan: "Relativement et naturellement fragiles face aux hordes de micro et caméras, les entraîneurs et les joueurs choisissent généralement soit de parler la langue de bois, soit, pour ceux qui sont plus à l’aise, de minauder. (…) Bielsa est cependant devenu immédiatement un grain de sable dans ce redoutable engrenage. qui va moins dérailler que tourner complètement à vide face à lui. (…) On se régale devant l’inadéquation entre le ton neutre, lent, sincère de l’entraîneur, et le sensationnalisme maladroit de ceux qui le sollicitent, à qui il vient parler de temps en temps. (…) Il se démarque par un premier degré imperturbable, tellement insolite qu’il passerait presque pour de la provocation. (…) Il n’est embêté par aucune question, et désolé d’aucune réponse. Il ne voit jamais aucun piège nulle part: il semble se ficher complètement d’anticiper les usages qui seront faits de ses réponses. Bielsa ne regarde les journalistes ni de haut ni en biais – il ne les regarde pas du tout. Il leur répond apparemment sincèrement, jamais nonchalant mais complètement indifférents aux règles tacites de l’intervieweur ('je sais que tu sais que si je te pose telle question c’est parce que j’aimerais entendre tel mot…')".
"L’ouvrier travaille, le supporter ressent"
Malgré ces points communs, on ne peut ignorer les limites intrinsèques d'une telle comparaison. L’un évolue dans le milieu universitaire et le débat politique, l’autre dans le monde du sport de haut niveau. Toutefois, les deux ont fait de la défense du travailleur/supporter leur cheval de bataille.
Dans la lignée du "salaire à vie", de la dénonciation des luttes défensives et de la réappropriation de l’histoire populaire, l’une des idées phares de Bernard est la reconnaissance des individus comme producteurs de richesse. Dès lors il ne s’agit plus de se battre pour des pauvres ou des exclus, mais, au contraire, pour reconnaître l’importance des travailleurs au sein des rapports de production et de la société.
Lors d’un débat avec Baptiste Mylondo, défenseur du revenu de base, Bernard Friot insistait sur cette idée. "Je maintiens qu’il est absolument fondamental de se battre contre toute définition de quelqu’un comme exclu et comme pauvre. (…) Définir quelqu’un par son manque, c’est lui faire une violence tout à fait considérable. Lorsque la classe ouvrière s’est construite, elle ne s’est pas construite comme syndicat de victimes, elle ne s’est pas posée comme des exclus vaincus. Elle s’est posée comme la seule productrice de valeur, et exigeant une reconnaissance à ce titre (…) Jamais la classe ouvrière ne s’est définie comme un regroupement de pauvres. Définir quelqu’un comme pauvre c’est lui faire une violence inadmissible. Cela fait partie du mépris dans lequel le capital nous tient."
Bernard Friot défend le travailleur, Bielsa le supporter. Finalement, il s’agit souvent d’une seule et même personne pris dans des contextes différents. Néanmoins, dans une vidéo intitulée "Bielsa, capitalisme et valeurs", diffusée sur Internet et devenue assez populaire parmi les fans de l’entraîneur argentin, on peut entendre ce dernier alerter sur les dangers de traiter les supporters de la même façon que des travailleurs. "Le football ressemble de moins en moins au supporter, et de plus en plus à l'homme d'affaires. Beenhakker [entraîneur hollandais ayant notamment coaché le Real Madrid] a dit: les hommes d'affaires qui rachètent le football pensent que les supporters sont assimilables aux 30.000 employés qui travaillent pour eux. Sauf que l'employé travaille, et le supporter ressent." [14].
Selon lui, en adoptant la vision des dirigeants et des actionnaires dictée par des logiques comptables, "l’industrie du football moderne a oublié le supporter", alors qu’il est le seul élément "indispensable au football". Bielsa tente donc de rattraper cette erreur et voit même le football comme un "bien collectif", "un patrimoine populaire à défendre" [15]. C’est pourquoi ses équipes sont tout entières dédiées à la satisfaction du supporter par la création d’émotions.
Après la première défaite de la saison à domicile avec l’OM, il revenait en conférence de presse sur sa plus grosse déception concernant ce match. "Finalement, ce qui nous réunit tous autour du football, c’est la joie qui est produite par les expressions du jeu, spécialement lorsqu’elles concernent un public qui adhère à un maillot. (…) Chaque opportunité ratée de satisfaire les émotions que l’on peut offrir est très douloureuse pour celui qui aime le football." [16]
Toutefois, la volonté de Bielsa n’est pas seulement de satisfaire les émotions du supporter, mais en définitive de lui transmettre des valeurs à travers le style de jeu de ses équipes et son éthique de travail. Ainsi, l’entraîneur argentin espère rappeler au supporter que le résultat compte moins que le processus: "Dans n’importe quel domaine, on peut gagner ou perdre, mais l’important est le cheminement, la dignité avec laquelle j’ai parcouru ce sentier dans la recherche de mon objectif" [17].
Bielsa joint l’acte à la parole, lorsqu’il ordonne à ses joueurs de Leeds United de laisser l’adversaire égaliser après un but litigieux, et plus généralement lorsqu’il considère le jeu d'initiative et offensif comme les seuls moyens légitimes d’emporter la victoire. Plus encore, Bielsa souhaite faire du football une sorte de levier pour exposer les supporters au beau. "Car si on ne leur offre pas le football comme élément esthétique, on en fera de plus mauvais êtres humains. La valorisation esthétique est une condition humaine qu’on ne peut ignorer. (…) La beauté importe aussi." [18]. r
Mystique de la souffrance contre lutte des classes
Une autre différence entre les deux hommes se situe sans doute à l’intersection de leur foi personnelle et de leur vision politique, dans les chances qu’ils donnent à leur projet de triompher. En effet, Bernard Friot prône la lutte des classes et croit fermement en la nécessité de mener les luttes sociales avec la conviction de les gagner à moyen terme. De son côté, Marcelo Bielsa a connu autant de défaites que de victoires durant sa carrière, si bien qu’il a développé une pensée sur la relativité du succès et l’éloge de l’échec.
Bernard Friot croit fermement en la possibilité de voir son projet de "salaire à vie" se réaliser. Il insiste pour que la gauche mette un terme à son impuissance actuelle en menant à nouveau des combats sur un mode offensif. D’où la nécessité de se réapproprier l’histoire populaire et l’histoire du mouvement ouvrier pour mettre l’accent sur les victoires, qui ont été effacées par le combat idéologique de la classe bourgeoise depuis les années 1970.
À ce titre, l’oubli de l'imposition, par le mouvement ouvrier en 1946, du Régime général de sécurité sociale et du statut des électriciens-gaziers est symptomatique, alors qu’il s’agit "des prémices d’un changement de mode de production", car ils ont été gérés jusque dans les années 1960 par les travailleurs eux-mêmes (lire "Une autre histoire de la Sécurité sociale").
C’est pourquoi il participe au documentaire La Sociale, réalisé par Gilles Perret, afin de réhabiliter le nom d’Ambroise Croizat, ministre chargé de l’application des ordonnances sur la Sécurité sociale. C’est d’ailleurs le point de départ de sa "conférence gesticulée": comment un personnage dont l’œuvre est aussi important et dont les obsèques ont réuni tant de monde (un million de personnes accompagnent sa dépouille au Père Lachaise) peut-il être aussi passé sous silence?
La foi de Bernard Friot ne lui interdit pas de penser que la société ici-bas doit être transformée – et peut l’être. Il condamne d’ailleurs ses collègues qui ont transposé le paradis des croyants en un "demain" communiste toujours remis à plus tard. "Ils pensent que s’il y a un autre monde, ce sera plus tard, alors que je mets le mot communisme sur des réalités par lesquelles nous sommes déjà engagés dans une sortie du capitalisme et inventons une société autre. Toute la croyance dans le ciel (qui est le cœur du religieux en défense duquel Jésus est mis à mort comme blasphémateur) a été transposée dans l’idée que le communisme serait pour demain et ne se construit pas aujourd’hui. Le demain des chercheurs critiques du capitalisme, et des militants, c’est le ciel des croyants. C’est la même aliénation religieuse, d’autant plus difficile à déraciner qu’elle est sécularisée et portée par des personnes qui s’estiment vaccinées contre la religion puisqu’elles sont athées ou agnostiques!" [19]
Sa foi ne l’empêche pas non plus d’être lucide sur la réalité de la lutte des classes et sur les moyens nécessaires pour parvenir à modifier le rapport de force et à transformer la société. "Il y a une immense croyance de penser que nous pouvons faire société sans violence, sans tragique. Je suis communiste et disciple du Christ, pas témoin de Jéhovah! Le témoin de Jéhovah pense qu’on va pouvoir faire le Paradis sur Terre, le règne de l’abondance, de la paix, la fin de la violence, etc. Hélas, beaucoup de communistes ont exactement la même vision en pensant qu’il adviendra une société sans classes, sans rapports de pouvoir. Il faut au contraire être en permanence attentif à instituer la gestion des rapports de pouvoir. S’exonérer de cela dans un projet de société me paraît une très grave faute. Je ne crois pas à la société sans lutte de classes." [20]
Le titre de champion d’Angleterre de deuxième division dernièrement acquis par Bielsa a mis fin pour lui à une période de seize années sans remporter le moindre trophée. Il faut toutefois fortement relativiser l’étiquette d’éternel perdant qui colle à la peau de Marcelo Bielsa.
Premièrement, celui-ci a tout de même remporté cinq titres dans sa carrière [21], ce qui n’est pas donné à tous les entraîneurs. Deuxièmement, il faut aussi évaluer la présence ou l’absence de titre à l’aune des équipes entraînées. Bielsa a souvent dirigé des équipes moyennes avant son arrivée, des outsiders, qu’il a transformés de fond en comble pour en faire des prétendants à des trophées. Enfin, juger de la qualité d’un entraîneur uniquement à la lumière des titres remportés serait adopter une logique comptable focalisée uniquement sur les résultats, c’est-à-dire exactement l’inverse de ce que prône Bielsa – lui qui a gagné les cœurs des supporters du Chili, Bilbao ou de l’OM sans gagner de titre.
Néanmoins, il est difficile des nier que les titres ont été rares pour le Rosarino pendant les vingt dernières années et qu’il a connu des échecs retentissants, notamment celui à la tête de la sélection argentine (élimination au premier tour de la Coupe du monde 2002 avec une équipe qui était pourtant l’une des favorites du tournoi).
C’est sans doute pour cela qu’il a beaucoup réfléchi et livré une pensée, originale dans son milieu, sur le prix de la défaite, la rançon du succès et la relativité des deux. "Les moments de ma vie où j’ai le plus progressé sont liés aux échecs, alors que les moments de ma vie où j’ai régressé sont liés aux succès. Quand tu gagnes, le message d’admiration est trop confus. Le succès déforme, nous fait nous relâcher, trompe, nous conduit à nous enamourer excessivement de nous-mêmes; l’échec est le contraire, il est formateur, nous rend solides, nous rapproche de nos convictions, nous rend cohérents." [22]
Il ne faut pas croire pour autant que Marcelo Bielsa se représente le résultat comme une simple variable sans intérêt. Après chaque défaite, sa souffrance est à la hauteur de ses exigences envers lui-même. "Vous savez que je meurs après chaque défaite. La semaine suivante est un enfer. Je ne peux pas jouer avec ma fille, manger avec mes amis. C’est comme si je ne méritais pas de ces bonheurs quotidiens. Je me sens inapte pour le bonheur pendant sept jours."
L’entraîneur argentin donne l’impression de devoir faire pénitence pour expier ses fautes, comme après sa démission de la sélection argentine, lorsqu’il s’est enfermé durant trois mois dans un couvent, sans téléphone ni télévision, uniquement avec des livres sur le football [24].
Sa démarche est telle que Bielsa semble avoir développé une sorte de mystique de la souffrance semblable à celle du supporter qui verrait chaque semaine son équipe perdre mais continuerait à lui porter un amour sans condition. "J’ai lu une phrase à Séville que j’avais du mal à comprendre au début: je t’aime même si tu gagnes. C’est-à-dire le refus de la récompense (la victoire) pour augmenter le lien affectif. C’est-à-dire que même la victoire ne compte pas, je t’aime en l’échange de rien." [25]
Héritages
Que retenir au terme de cette comparaison aussi partielle qu’absurde a priori? L’énorme mérite de Marcelo Bielsa et de Bernard Friot est de nous pousser à réfléchir en dehors du cadre généralement imposé. Les projets des deux hommes, aussi idéaux soient-ils, nous rappellent que, dans nos sociétés capitalistes tout comme dans l’industrie footballistique, il est possible de penser et faire différemment, à partir de méthodes et de procédés déjà existants et éprouvés, et pour lesquels il s’agirait simplement de lutter afin qu’ils soient étendus.
Reconnus dans leurs disciplines pour leurs compétences scientifiques et leur apport dans leurs domaines respectifs, ils ont peu à peu adopté plus volontiers une démarche d’éducateur populaire, afin de rappeler qu’il est possible de changer le football/les rapports de production en redonnant au supporter/travailleur toute sa place.
Leurs démarches inspirent et font des émules. À Nanterre, Bernard Friot a eu "l’occasion de constituer une équipe de doctorants" et ainsi "aller plus loin dans [sa] démarche intellectuelle en accompagnant des doctorants d’une exceptionnelle qualité, [qu’il] retrouve toujours régulièrement à l’Institut européen du salariat de l’IDHES de Nanterre" [26].
Par ailleurs, il milite au sein de l’association Réseau Salariat pour faire entendre ses idées et on a vu que Franck Lepage l’a convaincu de "vulgariser" son travail par des conférences gesticulées. On connaît aussi ses liens avec Frédéric Lordon et Le Monde Diplomatique, avec qui il collabore régulièrement. Récemment, Jean-Luc Mélenchon reconnaissait son intérêt pour ses travaux.
Marcelo Bielsa, pour sa part, a gagné l’estime de beaucoup d’entraîneurs, de joueurs. Si bien que le terme "bielsisme" désigne l’appartenance au groupe se reconnaissant dans les idées défendues par Marcelo Bielsa.
Et on ne compte plus les hommages rendus au Rosarino: "Personne ne m’a transformé comme lui" (Javier Mascherano); "Tout le monde devrait travailler avec lui au moins une fois dans sa vie" (Javi Martinez); "Ce qu’il m’a donné en une saison, je sais que cela va me servir toute ma vie" (Dimitri Payet); "On est devant le meilleur entraîneur du monde, il pratique un football juste" (Pep Guardiola); "C’est le meilleur car, lors de chaque entraînement, tu tires un enseignement important pour le prochain match, et ce que l’on faisait à l’entraînement se répercutait en match" (Diego Simeone); "J’aime Marcelo Bielsa, il est comme mon père" (Mauricio Pochettino); "Il m’a beaucoup aidé, en tant qu’entraîneur et tant que joueur, mais il m’a surtout apporté en dehors du terrain" (Gabriel Heinze) [27]…
Plus encore, dans toutes les équipes où il est passé, il a laissé une trace indélébile dans le cœur de supporters admiratifs devant sa valeur morale, son éthique de travail et reconnaissants pour les émotions qui leur aura apporté – avec ou sans titre. Après le fiasco de la Coupe du monde 2002, une banderole de supporters indiquait: "Bielsa, le temps te donnera raison" [28].
[1] Thomas Goubin, El Loco Enigmàtico, éd. Hugo & Cie, 2018, p. 148.[2] Edward P. Thompson, La Formation de la classe ouvrière anglaise, éd. Seuil, 2012 [1963].
[3] Thomas Goubin, op. cit., pp. 154-155.
[4] Raphaël Cosmidis, Christophe Kuchly, Julien Momont, Les Entraîneurs révolutionnaires, éd. Solar, 2017, p. 411.
[5] Florent Toniutti, "Obligé d’être efficace", cité dans Romain Laplanche, Le mystère Bielsa, éd. Salora, 2017, p. 93.
[6] Bernard Friot, "En finir avec les luttes défensives", Le Monde diplomatique, novembre 2017.
[7] Mourad Aerts, OM-Bielsa. Enquête sur une relation passionnelle, éd. Amphora, 2020, p. 189.
[8] Thomas Goubin, op. cit., p. 193.
[9] Mourad Aerts, op. cit., p. 191.
[10] Thomas Goubin, op. cit., p. 131.
[11] Il s’agit de conférences pour expliquer un problème politique, mais où l’analyse de l’orateur découle de son vécu.
[12] Le titre donné par la chaîne à l’interview ("Théorie du revenu universel / salaire à la qualification?") montre d’ailleurs une confusion importante entre salaire à vie et revenu universel.
[13] Markus Kauffman, "Marcelo Bielsa, le justicier", So Foot, 5 avril 2015.
[14] Malheureusement la vidéo est mal sourcée et très mal traduite.
[15] Thomas Goubin, op. cit., p. 150.
[16] Mourad Aerts, op. cit., p. 189.
[17] Thomas Goubin, op. cit., p. 117.
[18] Thomas Goubin, op. cit., p. 148.
[19] Revue Ballast, art. cit.
[20] Ibid.
[21] Trois championnat d’Argentine (Campeonato de primera divisiòn 1990-1991 et Torneo Clausura 1992 avec Newell’s Old Boys; Torneo Clausura 1998 avec Vélez Sarsfield), les Jeux Olympiques 2004 avec l’Argentine et désormais le titre de Championship 2020 avec Leeds.
[22] Thomas Goubin, op. cit., p. 118.
[23] Ibid., p. 120.
[24] Ibid., p. 125.
[25] "Silenzio. Parla Bielsa", Gazzetta Dello Sport, 16 mai 2017.
[26] Revue Ballast, art. cit.
[27] Raphaël Cosmidis, Christophe Kuchly, Julien Momont, op. cit., p. 410.
[28] Thomas Goubin, op. cit., p. 259.