Remplacer la cotisation sociale par l'impôt ?La TVA sociale: une régression à combattre
Ainsi voilà remise au goût du jour la proposition de TVA dite « sociale », désormais promue au rang de taxe « anti-délocalisations » pour faire plus « protecteur » (car, savez-vous, le président de la république se doit de « protéger » les français) tout en essayant de ne pas faire « protectionniste » mais en le suggérant !
Ainsi sont de nouveau mises en avant les vertus de ce quasi miracle qui permettrait de manière indolore et d’un seul mouvement, de baisser le coût du travail (ardente obligation si l’on veut des emplois, n’est-ce pas ?), de lutter contre ces étrangers qui détruisent notre modèle social en produisant à bas coûts, et simultanément, de renforcer notre « compétitivité », c’est à dire de leur faire à eux ce qu’on leur reproche de nous faire à nous (juste revanche non ?).
Passons sur le caractère électoraliste et opportuniste du projet visant à « ratisser large », du côté de l’extrême droite grâce au côté revanchard et xénophobe de sa présentation, et du côté de la « gauche de gouvernement » en invoquant la sauvegarde de l’emploi .
Mais là n’est pas l’essentiel. Ce projet s’inscrit dans celui plus large de la fiscalisation et de la privatisation de la protection sociale et est avant tout un projet idéologique qu’il faut combattre en tant que tel et sur ce terrain et non sur le terrain technique de la recherche d’une hypothétique martingale permettant de gagner sur tous les tableaux. Car il y aura bien des gagnants et des perdants.
Rappelons cependant, mais sans nous y attarder trop, les mécanismes et les conséquences de la mise en place d’une telle TVA dite sociale. Les mécanismes prétendus s’apparentent à la fable suivante. Il s’agirait de « remplacer » une partie des cotisations sociales (au moins de celles dites patronales) par une hausse de TVA dont le taux serait ajusté de manière à rapporter la même somme pour « garantir » notre modèle social. La baisse de cotisations (présentées comme une « taxe sur le travail » qui pénalise nos entreprises) serait répercutée par les entreprises, car elles sont « socialement responsables » sous forme de baisse du prix hors-taxe de leurs produits, ce qui « neutraliserait » l’effet de la hausse du taux de la TVA pour les consommateurs. Par contre les produits importés deviendraient plus chers ce qui conduirait les consommateurs à se reporter sur les productions domestiques, favorisant ainsi l’économie française. Bref, que du bonheur !
Ce bel édifice souffre malheureusement de quelques faiblesses !
D’abord l’expression « taxer les importations, plutôt que le travail » entretient la confusion habituelle entre l’assiette et le financement. Même monsieur Alain Madelin rappelait récemment l’adage qui veut que « si on met un impôt sur les vaches, ce ne sont pas les vaches qui vont le payer » ! Ce sont bien les consommateurs qui paieront l’impôt, et sur toutes les consommations et non sur les seuls produits importés, car il s’agit d’une TVA et non d’une (vraie) taxe sur les importations.
Ensuite, que l’on nous permette d’avoir des doutes sur le fait que les entreprises « joueraient le jeu » en baissant leurs prix hors-taxe. Les expériences récentes (baisse de TVA sur la restauration, TVA sociale en Allemagne par exemple) ont déjà montré les limites de la « responsabilité sociale » des entreprises sommées par ailleurs d’envoyer des « signaux positifs » aux marchés.
Enfin, on ne peut que rester dubitatif quant à l’effet dissuasif vis à vis des importations, d’une hausse de l’ordre de 2% face à des pays exportateurs aux salaires 10 à 20 fois plus faibles qu’ici et produisant des biens que de toutes façons nous ne fabriquons plus. Sans parler des mesures de rétorsion qui ne manqueront pas d’être prises par nos « partenaires » à l’exportation, particulièrement européens (la France n’est-elle d’ailleurs pas dans la rétorsion vis à vis de l’Allemagne qui a mis en place le TVA sociale en 2006 ?).
Ces rappels étant faits, venons-en au cœur du problème.
Tout prélèvement, quelle que soit son assiette (c’est à dire la base sur laquelle on en calcule le montant), et quelle que soit sa destination (salaire net, protection sociale, investissement, dividende) est un prélèvement sur la valeur ajoutée. La question n’est donc pas « sur quoi prélève-t-on ? ». Car celle-ci admet toujours la même réponse : « sur la valeur ajoutée ». La vraie question, celle que la précédente sert à masquer, est celle qui met au jour le conflit capital-travail : « au nom de quoi prélève-t-on ? ».
Or le partage primaire de la valeur ajoutée se fait entre salaire et profit (ou excédent brut d’exploitation), entre ce qui est distribué au nom du travail (le salaire) et au nom de la propriété lucrative (le profit). Toute la question est donc : en quoi la mise en place de la TVA dite sociale (ou de la CSG, autre modalité envisagée pour substituer l’impôt au salaire dans le financement de la protection sociale) va-t-elle changer dans le rapport de forces entre capital et travail ?
La cotisation sociale (qu’elle soit dite salariale ou patronale) est une partie du salaire et est payée par les employeurs à l’occasion des emplois. Elle vient en déduction de l’excédent brut d’exploitation (ou profit) de l’entreprise. Le financement de la protection sociale par la cotisation est, comme le salaire net, antagonique du profit.
La création de la TVA sociale diminue les salaires (baisse des cotisations) et augmente donc les profits. Ce qui reste du salaire devra payer ladite TVA sur toute consommation. Dans l’immense majorité des cas, le salaire étant affecté essentiellement à la consommation et non à l’épargne, cette hausse de TVA va s’appliquer sur la quasi totalité du salaire.A contrario le gain obtenu par le profit ne subira la taxe que pour la part faible affectée à la (sur)consommation des ménages aisés (les quelques pour-cent (moins de 5%) qui détiennent à eux seuls plus de 30 % du patrimoine des ménages).
Conséquence, un déplacement des revenus primaires en faveur du profit de x% (par exemple 30 Mds€ sur un PIB de 2000 Mds€ soit 1.5 point de PIB), qui serait « compensé » vis à vis de la protection sociale par un prélèvement secondaire de x-ε d’impôt prélevé sur les salaires nets et de ε seulement sur les profits.
Les gains de compétitivité (prix) escomptés grâce à la baisse du coût du travail n’auront lieu au mieux que par la baisse des prix à l’export (c’est à dire sur une fraction très minoritaire de la production) et non sur le marché intérieur.
Ainsi le « gain » n’est pas tant de nature « concurrentielle », il est dans ce déplacement du rapport de force en faveur du droit de propriété lucrative et au détriment du droit de salaire, et ce gain politique et idéologique est considérable. Ce transfert de quelque 30 Mds€ (somme récemment évoquée depuis le début de l’année) vers les profits matérialise surtout une conquête idéologique : il faudrait faire financer la protection sociale par l’impôt et la « solidarité nationale », en commençant par exemple par les allocations familiales qui nous dit-on « n’ont rien à voir avec le travail ».
Or la monnaie à toujours à voir avec le travail, car toute valeur économique a pour origine un travail, que ce soit le salaire, la cotisation, ou le profit ! La cotisation, ponction directe sur la valeur ajoutée c’est à dire sur le produit du travail, au nom du salaire puisqu’elle est à la fois calculée et distribuée comme le salaire, s’affirme et doit s’affirmer comme concurrente au profit.
S’opposer sur le terrain oû se situe l’enjeu ou perdre la partie ?
Que nous propose la réforme ? Elle nous propose d’accepter de n’être que des consommateurs, c’est à dire des êtres de besoins devant se contenter d’avoir « du pouvoir d’achat ». D’accepter que le salaire ne soit que le prix de notre force de travail destiné à permettre de renouveler celle-ci en satisfaisant nos besoins. Force de travail que nous acceptons de nous condamner à vendre sur le marché du travail faisant de l’emploi l’institution de la tyrannie des employeurs (c’est à dire des actionnaires au nom du droit de propriété lucrative), seuls habilités à décider des fins et moyens du travail, nous ravalant au rang de mineurs sociaux totalement disqualifiés à décider de la valeur économique.
Faute de dépasser cette représentation sans cesse ressassée par les réformateurs et à laquelle nous sommes si facilement enclins à croire, nous ne pouvons aller qu’à l’échec car nous ne nous placerions que dans une perspective de simple minimisation des dégâts face à une fatalité acceptée.
Or nous pouvons sortir de ce schéma mortifère. Nous devons affirmer avec force que le salaire n’est ni le prix de ma force de travail, ni le prix de mon travail, ni la rémunération de ma productivité. Simple force de travail, c’est ce que nous sommes menacés de redevenir si nous laissons faire les réformateurs. Car la construction conflictuelle des institutions du salariat au cours du 20ème siècle n’a pas produit que des dispositifs permettant de limiter l’exploitation des producteurs. Elle a produit aussi, pour autant que nous sachions les voir et nous en servir comme telles, des institutions émancipatrices du capitalisme.
Ainsi contre les représentations courantes ci-dessus, la cotisation sociale et la qualification nous offrent la possibilité de nous affranchir des employeurs et des propriétaires. La qualification d’abord, si nous reconnaissons que ce qui est payé par le salaire est la qualification, celle du grade, attribué à la personne dans le cas des fonctionnaires selon une grille nationale) ou celle du poste dans le cas de l’emploi privé, selon une grille sectorielle définie par convention collective. Le salaire est ainsi la rémunération d’une qualification attribuée par des institutions collectives ce qui l’éloigne de la référence au contenu individuel du travail. La cotisation sociale ensuite qui, part socialisée du salaire, permet de dissocier de l’emploi le droit aux prestations sociales et de financer des engagements massifs (plusieurs centaines de milliards d’euros par an) et de long terme (plusieurs dizaines d’années dans le cas des retraites) sans accumulation financière c’est à dire en se passant des « investisseurs ».
Nous pouvons nous affirmer comme des majeurs sociaux, aptes, c’est à dire qualifiés, à décider de la valeur économique et des fins et moyens du travail car nous pouvons élargir les possibilités ouvertes par la qualification et la cotisation. En généralisant, sur le modèle du grade des fonctionnaires, l’attribution d’une qualification personnelle (irrévocable et ne pouvant que progresser) et d’un salaire à vie à toute personne dès sa majorité, nous pouvons nous passer du marché du travail. Sur le modèle de la cotisation sociale aujourd’hui seulement utilisée dans le cadre de la protection sociale, nous pouvons créer deux nouvelles cotisations : une cotisation salaire d’abord, versée par les entreprises en lieu et place des salaires nets à une caisse de salaire permettant de déconnecter le droit au salaire des salariés des aléas de fonctionnement de leur entreprise, une cotisation économique ensuite versée à une caisse d’investissement chargée de financer sans intérêts et sans remboursement les investissements selon des critère délibérés démocratiquement.
C’est en nous plaçant au cœur de l’affrontement idéologique et en nous appuyant sur le déjà-là de la cotisation sociale et de la qualification que nous pourrons lutter contre la formidable régression promue par les réformateurs. Non il ne faut pas « faire cotiser le capital » oû « augmenter le pouvoir d’achat », il faut socialiser 100% du PIB, en commençant par augmenter les cotisations patronales bloquées, voire réduites progressivement depuis 30 ans. Et nous pouvons le faire car nous socialisons déjà avec succès et depuis des décennies un tiers du PIB.
Contre l’idéologie promue par les propriétaires selon laquelle seul le travaille valorisable économiquement est celui mené dans l’emploi, c’est à dire dans la soumission à la loi de la valeur-travail et la renonciation à toute prétention à décider de la valeur économique et de la fin et des moyens du travail, la cotisation sociale affirme au contraire que l’emploi n’est pas le seul lieu de création de valeur économique. Elle montre massivement et depuis des décennies que nous pouvons reconnaître comme créatrices de valeur économique des activités très éloignées de l’emploi et leur affecter à ce titre plus de trois cents milliards d’euros par an, de surcroît sans aucune accumulation financière, c’est à dire en se passant des « investisseurs ». Oui nous pouvons sortir du chantage à l’emploi et à la dette en instaurant un nouveau droit politique, le droit à la qualification personnelle et au salaire à vie et en décidant et finançant l’investissement par cotisation sans recours aux marchés.