Réseau Salariat : Quelle association, quelle orientation, quelles pratiques ?
Pour la première fois depuis la création de RS, un texte d’orientation est proposé pour l’AG. Au bout de 4 ans, la nécessité de faire un bilan, de questionner l’avenir se fait sentir. Cette association a radicalement évolué, avec une masse militante décuplée et rajeunie, ce qui est tout à fait enthousiasmant. Au demeurant, doit-on instaurer Réseau Salariat comme une organisation s’appuyant sur une figure tutélaire, ou renforcer la structure de réseau, comme l’appellation de Réseau Salariat peut le proposer ? Que faut-il améliorer dans nos pratiques ? Quelles orientations voulons-nous prendre ?
Notre association a quatre ans. Nous étions, à l’assemblée de fondation, une trentaine de militants convaincus qu’il fallait créer un pôle autour de la lecture novatrice de la production de la valeur proposée par Bernard Friot.
Nous sommes aujourd’hui 250 adhérents à jour de leur cotisation. Notre surface militante a plus que décuplé. Les conférences de Bernard ont de plus en plus d’échos, ainsi que son dernier livre; les conférences gesticulées que nous avons produites sont demandées au-delà de nos espérances. Un vidéaste indépendant, Usul, a mis en ligne une vidéo sur le salaire à vie qui a été consultée par un demi-million d’internautes. Nous répondons à de multiples invitations d’associations, syndicats. Incontestablement, il s’est passé quelque chose. Il se passe quelque chose.
Des militants aguerris viennent vers nous mais surtout des jeunes pour qui nous mettons des mots sur ce qu’ils vivent, ressentent, ce à quoi ils aspirent. Laissant à l’écart les esprits chagrins arc-boutés sur leurs habitudes de pensée et leurs certitudes, nos idées prennent pour beaucoup l’aspect du chaînon manquant. Une révolution ! Une révolution, parce qu’elle bouscule les visions anciennes ; une révolution parce que, comme toutes les révolutions, elle n’est que la réorientation du regard sur l’existant pour sa compréhension.
Depuis notre création, nous avons vu venir à nous et cotiser environ 420 adhérents. Une grande partie a renouvelé d’autres se sont éloignés. Des nouveaux sont arrivés, différents. Au-delà des mouvements normaux dans toutes les structures politiques, nous pouvons reconnaître que Réseau Salariat n’a pas su retenir ces adhérents. Au plan national, des groupes de travail ont vu le jour et ont élaboré des brochures, des outils. Nous avons organisé des formations nationales qui ont vu des camarades nouveaux s’investir dans leur préparation. Dans ces initiatives, des cadres se sont formés ; en particulier des cadres jeunes.
Nous sommes à présent une organisation qui se structure, qui s’appuie sur des groupes locaux intervenant dans toute la France, en Belgique francophone et en Suisse romande. Ces groupes prennent des initiatives, fabriquent les outils qui leur conviennent, construisent des sites Internet.
Nous ne pouvons pas fonctionner comme une organisation centrée sur la figure tutélaire. De nouveaux venus avec leur histoire, leur parcours, veulent prendre leur part de l’élaboration, souhaitent pouvoir donner leur avis sur les différents aspects de notre fonctionnement. Il nous faut ouvrir largement nos portes et accepter de nous déplacer dans nos habitudes. Nous sommes une très jeune organisation, cela ne devrait pas être très difficile. Mais c’est sans doute vital.
Depuis le début nous vivons dans une contradiction
- Nous sommes une association d’éducation populaire et nous avons plus qu’un programme révolutionnaire, une conception du monde.
- Nous nous étions promis de ne pas intervenir dans l’actualité politique, de ne pas suivre l’agenda médiatique mais l’actualité nous mord la nuque. Comment ne pas intégrer dans notre argumentaire la question migratoire (et toutes les autres… un jour ou l’autre)
- Nous voulons faire pénétrer nos idées dans les organisations politiques et syndicales existantes et nous savons qu’aucun parti ne reprendra nos thèses à son compte. Les avis sont partagés quant à la possibilité d’infléchir les orientations des organisations syndicales. Le degré de bureaucratie atteint dans les appareils syndicaux (quels qu’ils soient) laisse en tout cas rêveur.
- Dans une période où les organisations politiques sont sclérosées, ossifiées dans des pratiques de défense de pré carré, discréditées parce que calquées, décalquées sur le fonctionnement de la démocratie bourgeoise, sans aucune perspective révolutionnaire (bien que certaines en parlent les jours de fête), notre association doit avoir l’ambition d’ouvrir une voie, une méthode, une praxis. Il est clair pour nous tous que nous ne voulons pas être un parti. Il serait cependant illusoire de croire que nous resterons ce simple aiguillon de la pensée critique.
Notre manière de fonctionner, de nous présenter au monde est en soi une orientation. Nous avons fait le choix plus que judicieux de nous intituler « Réseau ». Faisons en sorte que ce ne soit pas un effet de mode, un bon coup publicitaire mais que nous fonctionnions vraiment en réseau, horizontalement, en laissant de l’air pour respirer, de la latitude pour exister dans le cadre bien sûr d’une charte du vivre ensemble dans une association qui se bat pour l’émancipation sociale. Nous devons nous interroger sur ces questions et modifier ce qui doit l’être. Il nous faut muter ou nous ne survivrons pas.
Cette année, nous pouvons retenir quelques priorités :
En premier lieu, la formation.
Elle est nécessaire sur le plan strictement théorique pour la construction d’une culture commune. Elle est nécessaire sur le plan de la « personne militante ».
Dans les préparations de formation, ces deux préoccupations doivent aller de pair.
Les Estivales du Réseau seront une première expérience à analyser. Des formations locales, par région devront être privilégiées pour une plus grande participation et implication des militants locaux.
En deuxième lieu, l’équilibre organisationnel :
Il nous travailler à définir de la place, des prérogatives des groupes locaux dans le réseau ainsi que du rôle du Conseil d’Administration comme centre d’impulsion et de relais des initiatives locales.
La méthode pourrait être très pragmatique — comme celle des paysans corses qui regarde par où passe l’âne pour tracer le chemin (nous tenons à signaler que l’âne est un animal très respectable) —. Le CA devra être très attentif aux demandes et pratiques des groupes locaux et les groupes locaux empathiques avec le CA quant à la cause commune pour que nous puissions ensuite entériner un fonctionnement qui satisfasse les différentes instances pour le meilleur être de l’association. Il pourra être envisagé une Assemblée Générale Extraordinaire pour modifier les statuts qui acteront le modus vivendi.
En troisième lieu, la bataille qui vient :
Les attaques constantes contre les institutions du salaire s’inscrivent dans un projet d’infra-emploi qui s’appuie sur la très salubre aspiration à se passer d’employeur, et à maîtriser un travail ayant du sens, pour généraliser la fausse indépendance économique d’auto-entrepreneurs soutenus par un revenu de base et un compte personnel d’activité abondé à la mesure des performances individuelles sur le marché du travail ou sur celui des biens et services. Face à cette offensive d’une classe capitaliste qui ne veut plus s’embarrasser des responsabilités de l’employeur et qui fonctionne de plus en plus comme rentière, seules nos propositions de généralisation du salaire à vie et de copropriété d’usage des entreprises ont la force d’une alternative s’appuyant sur un déjà-là.