Le bulletin de paie : mon salaire ou du salaire ?
En lisant nos bulletins de paie, tout nous porte à croire que le salaire total, salaire net plus cotisations salariales et patronales, est produit par notre activité.
Il s’agit d’une erreur liée à notre méconnaissance du processus de création monétaire, renforcée par deux amalgames : entre flux de monnaie et flux de valeur d’une part, entre cotisation et fiscalité d’autre part.
Création monétaire
A quelle occasion la monnaie est créée ?
Pour entreprendre et couvrir les besoins en investissement (logistique, salaires, …), nous en faisons une demande à la banque. Après délibération et accord, celle-ci délivre un crédit par création monétaire dont le montant anticipe la valeur ajoutée de l’entreprise privée.
Les circuits de financements peuvent être plus ou moins tortueux mais tous reviennent, au bout du compte, à créer de la monnaie par les institutions détenants ce pouvoir : l’occasion de cette création est une anticipation de la valeur ajoutée dans le cadre marchand de l’entreprise privée.
Flux de monnaie et flux de valeur
En raison de ce lien étroit (bien qu’arbitraire) entre création monétaire et secteur marchand, toute la valeur économique semble être produite par ce dernier. C’est ici que nous faisons l’amalgame entre flux de monnaie et flux de valeur.
Les cotisations santé indiquées dans nos bulletins de paie permettent de remarquer cette erreur : elles sont socialisées par l’intermédiaire des caisses d’assurance santé et vont être distribuées pour payer les services de santé. Les cotisations correspondent bien à un flux de monnaie qui va du secteur marchand des entreprises privées vers le secteur non-marchand de la santé publique.
Cependant, les services de santé sont bien produits par le secteur de la santé publique : le flux de valeur va bien du secteur non-marchand de la santé vers le secteur marchand des entreprises privées. Les cotisations représentent la valeur économique que nous attribuons à ces services. En achetant des biens et des services via les besoins logistiques hospitaliers ou encore les salaires de ses agents, le secteur de la santé publique retourne le flux de monnaie vers le secteur marchand.
La valeur ajoutée et donc les salaires du secteur marchand comprennent à la fois la valeur économique qu’il produit ainsi que la valeur économique produite par les services de santé.
La même représentation est valable pour les cotisations vieillesse et les impôts. Dans son ensemble, lorsque le gouvernement vote le budget, il anticipe donc la valeur économique produite par les services publics (santé, scolarité, administration, etc.) ou encore les retraités et les chômeurs qui sera intégrée aux prix des marchandises et donc aux salaires du secteur marchand.
Cotisation et fiscalité
Cependant, Il y a une différence notable entre cotisation et fiscalité. Cette articulation n’est pas simplement liée aux emplois qui en sont faits mais, à nouveau, aux représentations qu’elles produisent et renforcent.
Sur quelle assiette ces deux modalités s’appliquent ? Comme vu plus haut, les cotisations sont du salaire socialisé : elles font parties d’une première distribution du flux de monnaie transitant depuis le secteur marchand vers le secteur non-marchand, tout comme le salaire direct est distribué aux salariés. A contrario, l’impôt est une taxe : il s’agit d’une redistribution faisant suite à une première distribution qu’il s’agit plus ou moins de rectifier selon les « possibilités de chacun ».
A quoi nous renvoie le cheminement indirect de l’impôt ? Il renforce notre vision que seul le secteur marchand produirait la valeur économique que nous ponctionnerions pour nous payer des écoles, des fonctionnaires, etc. Du coup, l’impôt nie que ce sont ces mêmes écoles et fonctionnaires qui produisent de la valeur économique ; de plus, il légitime une première distribution de la valeur ajoutée qu’il est pourtant sensé corriger dans un deuxième temps.
Pourquoi nous compliquer la vie ? Nous pourrions généraliser la cotisation pour nous éviter tous ces tracas comptables et nous débarrasser d’une source d’erreur dans nos représentations. L’impôt n’est pas mauvais en soi mais nous savons dorénavant mieux faire.
Des représentations qui s’opposent
Nous avons vu ici deux représentations de la valeur économique que tout oppose :
- La représentation capitaliste qui affirme que toute valeur est le fruit des échanges marchands. Elle nous est plus familière en raison des institutions qui la soutiennent (banque, impôt) et du matraquage idéologique l’accompagnant.
- La représentation salariale, construction plus récente issue des luttes sociales du XXe siècle, qui affirme par la cotisation que ce sont les salariés, du public comme du privé, qui produisent la valeur économique.
L’opposition de ces représentations est un enjeu de plus en plus important à chaque nouvelle phase de crise : l’une nous pousse dans des impasses tout en nous limitant à de simples spectateurs de la vie économique, l’autre confirme notre capacité à produire et est un tremplin pour dépasser l’ordre établi.